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27 déc. 2010

Moonlight Sonata - n°12

Il n'arrivait pas à dormir. Il ne cessait de ressasser les mêmes idées dans sa tête. Le ventre crispé et la gorge nouée, il se sentait en colère et humilié. Il n'était pas du genre à se laisser avoir par des chimères. Il n'était pas quelqu'un de faible, et pourtant, elle avait fait de lui son jouet, sa marionnette. Mais ce qu'il avait vu en elle, ou ce qu'il avait voulu y voir était si beau... trop beau justement. Il aurait dû se méfier. En fait, il s'en voulait surtout de s'être autant livré à quelqu'un qui ne lui avait finalement jamais demandé de le faire. Elle ne lui avait jamais rien vraiment demandé d'ailleurs, à part de lui rendre ce qui lui appartenait.
Il ne voulait plus y penser. Il voulait l'effacer de son esprit, de sa mémoire.

Mais rien à faire, il ne s'endormait pas, remâchant la même amertume, la même colère qui l'étranglait. Aussi il se leva, passa l'un de ses disques favoris, et se mit à écrire, ce qu'il n'avait pas fait depuis au moins deux ans.

Alex écrivait de temps en temps. Il avait commencé assez jeune, mais, persuadé qu'il était assez médiocre, il se décourageait à chaque fois, et abandonnait au bout de quelques tentatives. A chaque fois, il rajoutait ainsi quelques pages à un tiroir plein d'oeuvres inachevées. Mais toujours, une sorte de besoin, d'espoir le poussait à réessayer, à reprendre son stylo. Et il se lançait comme à chaque fois dans ce grand travail de démiurge : il bâtissait des univers – à chaque fois plus habilement, bénéficiant de ses expériences passées – qu'il laissait ensuite prendre la poussière, par honte et par dépit.

Il plaça son nouveau récit en été, dans un pays plein de soleil et de chaleur. Autour de la piscine d'un hôtel chic, parmi d'autres clients plutôt attrayants et bronzés, un couple dansait sur un air à la fois rythmé et langoureux.
Alex marqua un petit temps d'hésitation : c'était assez mauvais, ou, au mieux, c'était bien parti pour l'être. Mais il avait envie de se faire plaisir, et n'avait pas la tête à chercher une intrigue complexe, ni à s'évertuer à multiplier les trouvailles stylistiques.
Non, finalement, cela ne l'inspirait pas. Il fit une boule de son brouillon, et la jeta à la poubelle. Il en prit une autre, et alla changer de disque, de la musique classique cette fois. Il resta pendant de longues minutes, les coudes sur sa feuille, une main sur la bouche, à écouter les notes s'égrainer, les harmonies, les mouvements des vagues musicales... Il voyait une femme aimée lui sourire, s'allonger à ses côtés dans l'herbe fraîche. Et toute son âme était envahie par un sentiment étrange, par une nostalgie pour ce qui n'existait pas. Et chaque mouvement musical qui se faisait plus prégnant, plus déchirant lui criait ce manque. Il sentait ses doigts aimants s'enfouir dans une douce chevelure ; mais il ouvrait les yeux, et n'apercevait que le néant auquel son fantasme faisait place. Mais ce qui était bien réel, c'était cette couleur délicate, qui venait peindre son humeur et ses rêves présents – et qui donnaient à cette mélancolie une sorte de sentiment d'orgueil. Et pourtant, l'air changeait, et la couleur, bien qu'absolue à ses yeux quelques secondes auparavant, se transformait aussi.
Il reprit son stylo en main... Non, décidément, il n'écrirait rien de bon ce soir. Il trouvait cela dommage, car il avait l'impression que ce qui se passait en lui méritait d'être dépeint. Aussi, il se recoucha, et dans le noir, continua à assister aux tempêtes que la musique soulevait en lui. Il s'émouvait, s'émerveillait de chaque note, et celles-ci retentissaient en lui comme autant de jubilés, de petites portes ouvertes sur un grand quelque chose indicible. Dans la contemplation de sa douleur présente, il comprenait beaucoup de choses, de ces choses qui n'ont pas de nom, mais qui embrassent le gigantesque. Il était comme une coque de noix ballottée sur de grandes vagues sombres.
Il contemplait cela, et se réfugiait dans la douce pensée d'une femme qui l'aimerait, qui serait digne d'être aimée par lui et qui ne lui mentirait pas ; elle serait toute à lui, et s'emparerait de lui.

Au bout d'un petit moment, il s'endormit.

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