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13 déc. 2010

Moonlight Sonata - n°10

Emma Cugat est la jeune femme mystérieuse qu'Alex, notre protagoniste, avait rencontrée au Moonlight Sonata. Elle y avait oublié son imperméable, dans lequel il avait trouvé deux objets : un sifflet et un livre. Après s'être fâchée avec Alexei, dont le petit chantage l'indignait, Emma lui avait confié ce qu'ils représentaient à ses yeux : le livre est tout simplement son préféré, et le sifflet un cadeau de son petit-ami, chauffeur de taxi. Mais l'implication d'Alex dans leur relation lui a valu une amitié naissante avec Emma, dont il sent amoureux. Sinon, côté travail, Alex avait menacé son patron de démissionner si l'on ne lui attribuait pas le poste qu'il méritait après tant d'années. 


Quand le lendemain matin, Alex descendit chercher son courrier, tasse de café à la main, il trouva dans sa boîte à lettres deux enveloppes. L'une venait de son travail, et l'autre de son frère Archy. De retour dans son appartement, il les ouvrit.

«  Ne crois pas que je te néglige. Passes à mon bureau demain en début d'après midi, nous en discuterons.
B.M »

Ça augurait quelque chose de bon, aussi Alex fut-il de bonne humeur, lorsqu'il lut la deuxième.

«  Salut Alex, j'espère que tu te souviens qu'on était censés venir te voir aujourd'hui, dans la soirée ?
Si jamais ça pose problème — je sais que t'es pas le type le plus organisé du monde —  passe moi un coup de fil, je suis à l'Ataraxia, chambre 215. Annah a invité une amie à elle, comme ça on pourra sortir tous les quatre, ça sera sympa. Donc fais toi beau, et rejoins nous à l'hôtel vers 20h.
Bonne journée, et à ce soir j'espère.
Archy »

S'il était content de revoir son frère, cette idée de rendez-vous arrangé l'agaçait. Déjà, il n'avait aucune envie de rencontrer une femme qui évaluerait le parti qu'il représente, et il n'était pas plus d'humeur à jouer au type parfait. Annah, la femme de son frère, était pourtant une femme qu'il estimait beaucoup — cette idée un peu farfelue l'étonnait donc, venant d'elle. Rechignant à appeler son frère pour discuter de ce point qui devait déjà être confirmé auprès de la femme en question, il se résolut à la chose.

La journée se passa assez lentement : il fit quelque courses, lut un des livres qui traînait sur sa table de chevet depuis des mois, et écrit un papier sur un récent scandale politique qui avait éclaté dans la ville. Si son patron lui annonçait demain qu'il était promu au rang de reporter, ça serait toujours ça de fait, se disait-il. Et cette affaire l'intéressait. Sans être un révolutionnaire actif, Alex s'intéressait à l'ordre du monde. L'injustice le révoltait, et il s'en voulait beaucoup de ne rien faire pour la combattre. Seulement, il ne savait pas comment s'y prendre. Il serrait la mâchoire de rage en entendant les petites intrigues de ces puissants oublieux des centaines, des milliers de personnes dont ils causaient la misère. Mais justement, les puissants sont puissants, et voir que ce genre de nouvelles semblait indifférer le plus grand nombre le désespérait encore plus. Alors il ne savait pas quoi faire, et ne faisait rien, et s'en voulait. Aussi, dénoncer quelque situation dans un papier était déjà une petite consolation à ses yeux, même si elle ne faisait que souligner son impuissance.

Après avoir mis le point final à son papier, il se rendit dans sa salle de bain pour vérifier qu'il était présentable, revêtit un costume ordinaire mais toutefois élégant, et partit à l'Ataraxia.
Quand il arriva, il les aperçut qui discutaient près de la réception. Il reconnut son frère, qui portait un costume gris foncé, et dont les cheveux jadis rasés étaient à présent juste assez long pour esquisser des boucles. Sa femme, une jolie brune simple mais au sourire toujours radieux, portait une robe rouge assez classique, et lui parlait avec animation. La troisième personne, cette femme en apparence tout ce qu'il y avait de plus neutre — cheveux châtains, visage bien fait mais sans charme, silhouette sans faute, mais sans attrait non plus — devait donc être son « rencard », comme les gens disaient. « Super », pensa-t-il, morne, avant de s'approcher d'eux.

- Ah, Alex ! Tu es venu ! Comme tu n'as pas répondu à mon message, je n'étais pas sûr, s'exclama son frère en le voyant.
- Ça faisait longtemps, je suis content, répondit-il en lui serrant la main avec vigueur. Annah, toujours aussi... Comment vas-tu ?

Il s'était retenu au dernier moment de complimenter sa belle-soeur, de peur de vexer l'autre, à qui son honnêteté l'empêchait d'en faire, et avait enchaîné maladroitement.

- Je vais très bien, merci, répondit-elle en souriant. Je te présente mon amie Martha, elle voulait visiter la ville.
- Bonsoir Marta, alors, ça vous plaît ?
- Oui, c'est grand, répondit-elle.

Elle eut un regard tel qu'il ne sut dire si ce qu'elle venait de dire était salace ou seulement inintéressant. Il se reprit, et essaya de ne pas partir avec un mauvais a priori sur elle.

- Allons-y, j'ai faim moi, lança alors Archy, en ouvrant la porte aux dames.
- Ah, tu ne voulais pas dîner au restaurant de l'hôtel? demanda Alex.
- Non, autant aller ailleurs, tu dois connaître des endroits sympas ?
- Oui oui, allons y à pied, comme ça Martha pourra découvrir... répondit-il tandis qu'ils sortaient.

Il passa alors en revue les différents endroits qu'il connaissait et où il pourrait les amener. Le Moonlight Sonata faisait aussi restaurant, mais pas question de les y amener, il aurait honte de croiser Emma en leur compagnie. Il se souvint alors d'un petit restaurant indien, au coin de la rue, où la nourriture était bonne, et où la musique pourrait couvrir les silences gênants qui ponctueraient sans doute sa conversation avec Martha.

Une fois arrivés au Shangri-La et installés à une table près du chanteur qui jouait du sitar, Archy et Annah commencèrent à lui raconter les ennuis qu'ils rencontraient pour les travaux dans leur nouvelle maison. Il les écoutait, et de temps en temps regardait Martha, qui semblait s'ennuyer comme une brique un jour de pluie, et jouait avec sa serviette. Il lui demanda alors si le cadre lui plaisait, et si elle aimait manger indien.

- J'avoue que je ne connais pas. Mais c'est toujours bien de renouer avec ses racines.
- Ah vous êtes indienne ?
- Non, à vrai dire, mes grands-parents étaient écossais, mais je n'en suis pas moins américaine... Donc les indiens sont un peu mes ancêtres aussi.

Alex regarda alors son frère, pour voir s'il avait entendu ce qu'elle venait de sortir. Mais Archy parlait à sa femme, aussi il fut à la fois déçu d'être le seul à avoir entendu la chose, et fatigué de devoir y répondre. « Je crois que vous confondez les indiens d'Amérique, les « peau rouge », et ceux d'Inde, qui vivent en Asie... Ici c'est un restaurant de cuisine indienne d'Asie. Il trouva la chose mal formulée, mais la réponse de son interlocutrice l'atterra encore plus.

- Pourtant ils ne sont pas jaunes...
- Tous les asiatiques ne sont pas jaunes.
- Si vous le dites...

Il s'excusa alors, et se rendit aux toilettes, où il se passa de l'eau sur le visage, et se retint de se cogner la tête contre un mur. Son frère l'y rejoignit quelques instants plus tard.

- Alex, ça va ? Je n'ai pas l'impression que le courant passe entre toi et Martha ?
- Comment pourrait-il passer ? Je me demande ce qui me outre le plus : que tu essayes de me caser comme une mère castratrice ou que tu essayes de me caser avec cette...fille.
- Je n'essaye pas de te caser, c'est juste que je pensais qu'un peu de compagnie te ferait plaisir. Je suis marié depuis 4 ans maintenant, et toi toujours pas. Je m'en fais un peu pour toi, voilà tout.
- Eh bien arrête. Tu vis à la campagne, à la campagne, c'est différent.
- En quoi c'est différent ? Ah, voilà, tu me rejoues le refrain du petit citadin qui vit dans des sphères aux lois à part.
- Mais pas du tout, c'est juste que je n'ai pas BESOIN d'être marié. On dirait une espèce de règle maladive chez vous. Je n'ai pas besoin de me marier pour être heureux et être quelqu'un. Alors avec cette fille... l'horreur.
- Je suis très heureux depuis que je suis avec Annah, je voulais juste que tu connaisses ce même bonheur.
- Si tu trouves que Martha ressemble à Annah, alors il doit être beau, ton mariage.
- Arrête de faire du mauvais esprit. Je ne connaissais pas Martha avant, OK ? Mais ça valait le coup d'essayer.
- Oui, vu que c'est moi qui me la colle. Je te le répète, je n'ai besoin de personne d'autre, donc laisse moi tranquille à l'avenir, avec tes plans de marieuse bigleuse.

Ils revinrent à table, un peu fâchés, et mangèrent leur premier plat en silence. Ils se remirent finalement à bavarder jusqu'à la fin du repas, les frères oublièrent leur petite dispute, et Martha ne participa à la discussion que par des remarques d'une brillante insipidité.

1 commentaire:

  1. Cécile Guilloton3 juin 2011 à 10:57

    Très drôle ce passage ! La bêtise de Martha est vraiment navrante ...
    Je me dépêche de lire la suite !

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