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27 nov. 2010

Moonlight Sonata - n°7

     Quand Alex remonta chez lui, il trouva la fenêtre ouverte, et un tas de documents éparpillés sur le sol. Il crut d'abord que l'un avait causé l'autre, mais le vent n'ayant pu ouvrir les tiroirs de son bureau tout seul, il se rendit compte qu'il avait été cambriolé.
Mais il ne trouvait rien qui manquât. On avait fouillé dans son bureau, sa commode, son armoire, sous les coussins de son sofa, et sous ses draps, mais il semblait que rien n'ait intéressé les voleurs. Alors quelles étaient leurs motivations ?
C'était plus qu'étrange. Il se souvint alors de la singulière rencontre qu'il avait fait en bas de chez lui, et tout devint clair : cet homme avait été chargé de le distraire, pendant qu'un complice fouillait son appartement. Il rangea deux ou trois affaires, et décida à sortir, puisque c'était la seule chose dont il avait envie sur le moment.

Il prit, comme par instinct, la direction du Moonlight Sonata.

Le bar était plus animé que d'ordinaire: on y donnait un concert. Il se fraya un chemin parmi les personnes qui discutaient près de la porte d'entrée, et s'assit au comptoir, de manière à voir la petite scène improvisée. Il trouva cela plutôt pas mal, et apprécia la voix feutrée du chanteur, qu'un piano et une trompette accompagnaient à merveille.

Il se mit alors à regarder une femme qui dansait, un peu plus loin. Elle était gracieuse, et ses mouvements lents venaient se lover dans la musique comme si elle la comprenait vraiment, et en prévoyait chaque évolution, chaque note. Elle se retourna, et il la reconnut alors: c'était Emma. Elle avait les yeux fermés, pour mieux s'abandonner à la musique. De chacun de ses gestes émanait une profonde sensualité, mais il sentit qu'elle ne faisait pas cela pour se donner à voir, comme ces autres femmes; mais parce qu'elle savourait cette volupté. Il sentit même qu'elle ne savait pas qu'elle était belle; le reste, elle l'avait oublié. Elle vivait dans la musique.
Quand le morceau fut terminé, elle rouvrit les yeux, et resta un peu perdue parmi les autres danseurs, pendant quelques instants. Elle se dirigea vers le bar, où elle répondit au barman qui lui tendait un verre, en souriant. Alex ressentit un léger pincement de coeur — il détestait être jaloux. Il se dirigea alors vers elle.

- Tiens, mais c'est mon ami Alex, lança-t-elle en posant la main sur sa poitrine avec une tendresse moqueuse — elle était légèrement ivre. Comment va notre petit tyran ?
- Alors vous êtes toujours fâchée par cette histoire... Tout ça pour quoi, un sifflet et un bouquin ? répondit-il aussi maladroitement qu'il en avait l'habitude face à Emma. Vous savez, dit-il en tapotant sa poche, qui renfermait les objets que convoitait la jeune femme, il vous suffirait de quelques petits mots et vous n'auriez plus de raisons d'être fâchée contre moi.
- Mais non, je ne suis pas en colère. Je ne faisais que vous taquiner.

Elle se retourna vers la salle et se mit à observer les danseurs. « C'est un de ces soirs où j'ai envie de danser », dit-elle à voix basse. « C'est pour ça que j'ai bu. »

- Alors il ne faudrait pas gâcher une si belle occasion, assura-t-il, en lui proposant son bras. Vous me refusez des aveux, peut-être que j'aurais plus de succès avec cette danse.

Elle sourit avec défi et le prit par la main pour le mener jusqu'au milieu de la pièce. Elle passa alors ses bras autour de son cou.

Alex, surprit de cette victoire facile, tâchait de se concentrer sur ce que lui disait sa partenaire. La musique se fit plus douce, voire un peu mélancolique.

- Vous savez, vous êtes nul avec les femmes. Mais vous êtes attachant tout de même. C'est pour ça que je ne vous déteste pas. Je crois que vous ne le faites pas exprès.

Il ne répondit pas, et se contenta de la regarder.
De près, elle était aussi jolie. Ses fins sourcils noirs, joliment dessinés, lui donnaient du caractère. Et le rose frais de ses lèvres était une tentation à laquelle il s'efforçait de ne pas penser.

- Je vous ai vue danser tout à l'heure. Vous dansez très bien.
- Merci. J'ai pris des cours à vrai dire. Avant, j'étais un vrai hippopotame. Je dansais horriblement. Alors que la musique, c'est si beau, et ça me monte dans le coeur comme ça... Vous devez trouver ridicule que je vous raconte ça. Mais quand j'entends une chanson et qu'elle me secoue au plus profond de moi, j'ai l'impression de mourir un peu. Quand je danse, au moins, je la célèbre cette petite mort; ça la rend moins amère... Et puis c'est si amusant.

Elle laissa ses bras et ses mains glisser le long de ses épaules. Il essaya de cacher les petits frissons que lui causèrent cette nouvelle proximité. Il tâcha de reprendre un peu le contrôle en la faisant légèrement basculer en arrière. Il surprit alors dans ses yeux une lueur de timidité, qui lui redonna de l'assurance. Il resserra ses bras autour de la frêle taille. Il sentit les bras d'Emma descendre encore un peu le long de ses flancs, lentement.
Il était fébrile. Il sentit alors ses mains s'enfouir dans ses poches. Elle se dégagea soudain de son étreinte, en brandissant victorieusement son livre et son siflet.

«  Voilà, comme ça, nous sommes quittes. C'est très vilain de forcer les gens à vous faire des confidences. Si vous y tenez tant que ça, à l'avenir, vous saurez les gagner. J'habite au 17, rue Pérez Galdos. Si je vous dis ça, c'est parce qu'au fond, vous avez l'air de quelqu'un d'intéressant. Mais vous êtes encore loin d'être un ami. »

Et elle se retourna, alla demander son manteau à l'homme du vestiaire, et partit.

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