Archives du blog

10 nov. 2010

Moonlight Sonata - n°4

Ding dong.
La porte s'ouvrit, laissant apparaître une vieille femme au visage plutôt sympathique, mais dont les yeux rougis montraient qu'elle avait pleuré.

- Ah, bonjour, vous êtes le journaliste qui venez pour mon mari, c'est ça ?
- Oui madame, répondit-il d'une voix douce, surpris d'être attendri alors qu'il s'apprêtait à bâcler son papier.
- Entrez donc.

Il fut surpris par la sobriété du lieu, qu'on décorait ordinairement de compositions mortuaires de toutes sortes. Ici, rien n'avait été changé pour la triste occasion. Il y avait juste une petite bougie qui brûlait sur la table du salon, et un peu de musique classique qui se faisait entendre, seule dans son coin. Elle l'invita à passer dans la cuisine, pour y prendre un café. Il accepta volontiers, et, une fois attablé, sortit son carnet.

- Oh non, ce n'est pas la peine. Ne prenez pas de notes. Je me fiche que les gens aient des détails précis sur sa vie, l'âge auquel il s'est rasé pour la première fois, et tout le tintouin. Je n'aime pas les choses inutiles et vides de sens. J'aimais mon mari, mais je n'ai pas besoin de mettre des fleurs et du noir partout pour lui dire au revoir.
- Que voulez-vous qu'on écrive alors ?
- Je ne sais pas, quelque chose de plus... personnel. Il a toujours voulu être écrivain, mais il n'a jamais réussi à être publié. Ça le déprimait beaucoup, il se prenait pour un raté, et se persuadait qu'il n'avait aucun talent, quoi que je lui dise...
- Je vois, mais je ne vais pas mettre ça dans mon article, ça serait triste, répondit-il sincèrement, sentant qu'il ne commettait pas d'impair en parlant ainsi.
- Ce que je voulais dire, c'est que l'écriture était pour lui le moyen de laisser une petite trace, un quelque chose à la « postérité », comme ils disent.
- Je vois. C'est touchant comme attention.
- Oh, c'est normal, je l'aime, et j'aurais aimé qu'on en fasse autant pour moi. On a eu nos beaux jours, vous savez. A une époque, il travaillait à l'ambassade, et gagnait beaucoup d'argent, c'est comme ça qu'on a pu s'acheter cette maison.

Elle toussa à plusieurs reprises, alla chercher un mouchoir dans un tiroir, et revint s'asseoir.

- Je sais que vous connaissez mon mari comme homme politique, mais j'aimerais que vous ne parliez pas trop de ça dans votre papier. Vous savez, c'était vraiment quelqu'un de bien. Et la politique, ça vous salirait n'importe qui. On se retrouve dans de vilaines positions sans jamais l'avoir voulu, les gens vous accuseraient de tous les maux de la terre quand bien même vous auriez fait tout ce que vous pouviez pour leur bien. Je vous jure, ce genre de métier, ça vous dégoûterait n'importe qui. Je ne dis pas que tous les politiciens sont des saints hommes, mais je peux vous assurer que mon mari... C'est facile de salir les gens vous savez.
- Oui, bien sûr. J'avoue que je ne le connaissais pas très bien, mais il avait l'air sympathique.
- Ah ça oui, il l'était. C'est une des choses qui m'ont plu quand je l'ai rencontré.
- Ah, très bien ça, racontez-moi votre rencontre.
- C'était il y a... 43 ans de cela je crois. Je me rendais à un bal avec une amie. Je n'avais pas le droit, car c'était un bal où jouaient des musiciens noirs, ces nouvelles musiques. Ma mère ne voulait pas que j'y aille. Mais comme j'avais déjà plus de vingt ans, je n'ai eu aucun remord à lui désobéir, et j'y suis allé avec une amie. On dansait toutes les deux au début, et puis il est venu m'inviter à danser. Je n'osais pas trop lui parler, il avait un de ces regards qui vous captivent et vous intimide. Alors c'est lui qui menait la conversation. Je ne me souviens plus de ce qu'il m'a dit, juste qu'il aimait mon prénom.
- Qui est, d'ailleurs, j'ai oublié de vous le demander...
- Julia.
- Très bien, c'est vrai que c'est joli. Et après ?

Et après j'ai eu envie de le revoir, donc je suis retournée au bal la semaine suivante, et il y était. Et c'est ce jour là qu'il m'a embrassée, et qu'on a commencé à se voir.

- C'est une jolie histoire. Je pourrais la raconter dans mon papier ?
- Oui, si vous voulez... Si vous savez quoi en faire.
- Je crois que je vais écrire plusieurs petites scènes de sa vie, de façon un peu romancée, comme s'il était un personnage de roman...
- C'est une bonne idée, ça lui rendra justice, répondit-elle en souriant.

On sonna, et avant que Julia n'ait pu se lever, la porte s'ouvrit et se referma derrière le visiteur.

- Ah, c'est toi Daniel, viens t'asseoir, je parle de ton père avec ce journaliste, qui écrira le papier sur lui.
- Bonjour, salua le fils. Vous l'avez-vu ?
- Non, il n'est pas allé le voir, mais je ne suis pas sûre que ça soit nécessaire ; enfin c'est vous qui décidez, répondit la vieille dame.
- Je préfère me rappeler de ces jolis souvenirs dont vous me parlez quand j'écrirai, donc non, je n'y tiens pas particulièrement, répondit-il.

Et ils continuèrent à évoquer les meilleurs moments de cette vie qui venait de s'achever,  puis Alex rentra chez lui, songeur mais d'humeur sereine.

6 commentaires:

  1. merci!!! (check ur inbox pour plus de détails ;) )
    ju

    RépondreSupprimer
  2. J'aime beaucoup l'écriture, c'est vif et riche. L'histoire est captivante. On veut la suite... la suite!

    RépondreSupprimer
  3. Commentaire plus sérieux ici : J'ai lu les quatre parties, c'est intriguant, ça me donne vraiment envie de lire la suite =)

    RépondreSupprimer
  4. Waouh, c'est super fluide et le style n'en fait pas trop, on ne décroche pas. Continue ma grande!

    RépondreSupprimer
  5. Je sais, je sais, je suis en retard -- mille scouzi.
    Bon, eh bien, qu'ajouter de plus qui n'ait déjà été dit par tous ces commentaires ? (ça grimpe, on dirait, le nombre d'aficionados, non ?)
    Heu.
    Ben.
    Rien, sinon qu'ils ont tous raison. Ouaip.
    Juste un truc qui saute aux yeux (parce que ça tombe dès les premières lignes) :
    "le visage d'une vieille femme au visage plutôt sympathique"
    ça me semble à bricoler un peu, histoire d'ôter un visage ;-)
    La bise, je passe à l'épisode n°5 :-)

    RépondreSupprimer
  6. Oui, oui j'ai corrigé cet oubli aberrant... Et merci à tous pour votre soutien et vos gentils commentaires, ça fait chaud au coeur en ce mois de novembre =).

    RépondreSupprimer