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9 févr. 2011

Moonlight Sonata - n°16

[ Carl, Ed et Alex sont au Moonlight Sonata – ils ont décider de jouer à un petit jeu : chacun à leur tour, ils doivent tenter de séduire une femme, qu'ils se désignent mutuellement. Carl a remporté son défi, au tour d'Alex...]

*

Au bout d'une poignée de minutes et de gestes plus ou moins discrets d'Ed en direction de Carl pour lui demander de revenir, Alex alla le chercher lui-même.

- Désolé de t'arracher à une si charmante compagnie, Carlito, mais le devoir t'appelle, glissa Alex, qui s'était approché du couple en train de discuter.
- Carlito ? demanda la jeune femme, comme si elle trouvait le surnom mignon. (Alex tâcha de ne pas rire à ce surnom ridicule qu'il venait d'inventer.)
- Oui, et je vous promet que Carlito sera tout à vous très bientôt, si vous voulez bien lui céder votre numéro de téléphone, et nous prêter sa précieuse personne quelques instants après ça.
- Vous parlez bien, dites donc, dit la femme. Vous seriez pas un genre de poète ?
- Seulement le dimanche, et quand l'alcool fait effet, répondit-il avec ironie.
- Ah oui ? s'étonna-t-elle.
- Merci, lança-t-il à celle-ci après qu'elle ait tendu son numéro à Carl, qui se commandait un autre verre pendant ce temps.

Il embarqua alors Carl en le saisissant par le bras, et lui laissa juste le temps d'envoyer un petit baiser à la jeune femme, accompagné d'un « Ciao, bella ».

- Depuis quand tu parles italien ?
- Je sais pas, je trouvais que ça faisait chic. Et puis bon, j'ai des origines espagnoles, c'est un peu pareil.

Alex se contenta de rire.

- Heureusement que je suis venu te chercher, tu t'enracinais.
- C'est elle, elle ne voulait pas me laisser partir. Une vraie folle.

De retour à leur table, tandis que le garçon venait apporter sa commande à Carl, Ed redirigea la conversation sur l'enjeu de la soirée.

- Bon, Kirinov, c'est ton tour. Semprano, franchement, je m'attendais à mieux, mais bon, on ne peut pas nier que tu aies rempli ton objectif, donc...
- Votre amour envers moi vous rend trop exigent, maître, plaisanta Carl. « Tu t'attendais à mieux »... non mais franchement, tu voulais que je fasse quoi ?
- Je sais pas – vu comment tu te vends, je m'attendais à être surpris, admiratif, et franchement, le coup du « Ah mon dieu, quel maladroit, je ne vous ai pas fait mal au moins, ah mais oui, c'est vrai, ma main est sur votre sein, ah, l'enlever oui bien sûr, ne m'en voulez pas, je suis encore un peu choqué », n'importe qui aurait pu le faire, expliqua Ed, taquin.
- C'est que l'exercice n'était pas facile, maîtresse, vous me flanquez une foldingue dans sa bulle et voudriez que je réinvente l'art de la séduction ? Mais si vous me donnez une seconde chance, j'essayerai de gagner mon bon point, ricana-t-il.

Et comme il n'avait pas envie de finir sur cette note de dispute, il lui flanqua dans le dos une grande tape amicale, qui fit tousser Ed.

- Allez, au tour de notre petit Kirinov. Décidons de son sort...

   Ils scrutèrent à nouveau l'assemblée, à la recherche d'un challenge intéressant... mais rien. Comme une ménagère indécise dans un grand magasin, ils examinaient sans conviction l'une pour se reporter sur une autre, qui ne les enthousiasmait pas plus finalement; ils s'emportaient alors rapidement en en voyant une autre, et étaient à nouveau déçus quelques instants plus tard, découvrant avec la même rapidité l'inintérêt de leur nouvelle découverte.

- Eh bien, il n'y a plus grand chose...conclut Ed à voix basse, un peu dépité.
- Et la petite à lunettes qui regarde le pianiste en bavant là bas ? demanda Carl.
- Oh, non. Déjà ça ne représente aucune difficulté, et puis j'aimerais bien lui trouver une fille qui en vaille le coup. Il m'a l'air un peu... je ne sais pas. Disons que ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu en couple, et je pense que ça lui ferait du bien de rencontrer quelqu'un de bien.
- C'est vrai. Mais bon, de toute évidence, il n'y a personne dans cette salle qui soit du niveau, répondit-il, toujours en aparté.
- Alors ? demanda Alex, qui revenait des toilettes.
- Alors, euh... Disons que tu vas aller attendre près de la porte, l'air de rien. Et à la première belle fille qui se pointe – on fera le tri pour toi, on est pas des chiens –, à toi de jouer.
- Pourquoi il faut que j'aille près de la porte ? lança Alex, avec un peu de lassitude.
- Stratégique : si elle vraiment canon, mieux vaut être aux premières loges avant qu'on te pique ta place. Enfin moi je dis ça... conseil d'ami. T'as qu'à te faire passer pour le portier... dit Carl.
- Il faut que tu revoies tes schémas de séduction, mon grand, répondit Alex en riant à moitié. Mais bon, si ça peut vous faire plaisir. Donc, on dit quoi, son numéro ?
- Oui voilà, ça suffira. Allez, va-z-y, lance-toi, et on te fera un petit signe pour te désigner la fille, trancha Ed.

  Alex rejoignit donc son poste, s'adossant contre un mur, près du rideau rouge qui bordait la petite arche séparant le vestibule du reste du bar. Un verre à la main, qu'il sirotait de temps à autres, il meublait l'attente en fixant son attention alternativement sur le concert et sur ses amis. Au bout de quelques minutes, il entendit la porte s'ouvrir. Il regarda alors ses amis, et vit à leur tête que la personne qui arrivait ne devait pas convenir. Un couple entra en effet, et il ne put s'empêcher de remarquer la taille impressionnante – et peu harmonieuse – du fessier de la femme. Il patienta à nouveau, et vit alors qu'un homme avait rejoint Carl et Ed à leur table.
Il aperçut soudain son visage et le reconnut immédiatement. C'était Tony Vangelis, le type qu'il fuyait comme la peste, qu'il avait constamment envie de frapper, et qui, entre autres, lui avait volé sa petite amie au lycée.
Alex et Tony avaient fréquenté le même lycée, et avaient tous les deux grandi à la campagne. Vangelis appartenait à une famille assez aisée, qui avait construit sa fortune sur un business un peu malhonnête de système de retraite pour les personnes âgées, ce qui avait dès le début placé leur relation sous de mauvaises auspices. En effet, loin d'être honteux de ce confort assez mal acquis, Vangelis s'en vantait, et aimait à souligner la supériorité que cela lui octroyait sur le reste de ses congénères. Le temps de l'université était ensuite venu, et ils décidèrent tous deux de suivre des cours de lettres et de journalisme. Alex était assidu, et présentait des capacités prometteuses, quand Tony ne se montrait qu'aux cours dont le professeur était une personnalité connue, qu'il allait voir à la fin du cours pour faire ami-ami, ce qui marchait parfois.
Malgré toutes les crasses qu'il avait pu lui faire, et l'hostilité qu'ils se savaient nourrir réciproquement, il convenait de jouer le jeu, et Vangelis le traitait toujours comme s'il était un de ses grands amis. Tony faisait en effet partie de ces personnes pour qui le nombre de relations semblait prévaloir sur la qualité de celles-ci.
Carl le connaissait également : il l'avait rencontré en même temps qu'Alex, avec qui il avait plusieurs cours en commun. Ed, ami d'enfance de Carl, était rapidement devenu celui d'Alex, et avait aussitôt partagé la haine qu'il nourrissait à l'égard de Tony, qu'il avait pu subir à plusieurs reprises, lors de soirées où ils avaient été invités par des connaissances communes.


Il croisa alors le regard de Ed, qui avait l'air enchanté, et peinait beaucoup à cacher son indifférences médisante. Comme lui, il semblait agacé qu'il vienne gâcher la soirée agréable qu'ils passaient ensemble. Il vit alors Tony tirer une chaise et s'y installer, et poser son regard vers lui. Il dut demander quelquechose à Carl – qui regarda alors Alex avec un air coupable et navré – et se remit à observer Alex avec une sorte d'air goguenard, comme s'il trouvait la situation particulièrement hilarante. Ni Carl, ni Ed ne riaient.

Alex entendit alors un bruit à côté; c'était la porte qui s'ouvrait à nouveau. Il fit un petit signe interrogateur à Ed, qui donna alors son aval, de façon très enthousiaste par un geste qui lui disait d'y aller. Alex prit alors un très court instant pour préparer sa stratégie, et l'air assuré, il se tourna vers la jeune femme qui allait entrer dans la salle en lui disant : « Mademoiselle, pourrais-je avoir l'honneur... »... Et il aperçut Emma, au moins aussi surprise que lui, qui devint toute rouge, et cessa d'avancer.

- Alex, qu'est-ce que tu... vous...

- Alex ne répondit rien, pris au dépourvu.

- Je suis désolée, je ne savais pas que tu venais ici régulièrement, je suis désolée, bredouilla-t-elle avant de s'enfuir aussi vite qu'elle était venue.

Alex resta sur place, immobile et pantois, et mit quelques secondes à se souvenir qu'on l'observait. Leur jeu voulait qu'ils n'avaient qu'une tentative, aussi, il avait perdu. Il retourna donc à leur table, sans rien dire.

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