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1 févr. 2011

Moonlight Sonata - n°15

Alex et Ed se mirent alors à passer la salle en revue, s'échangeant leurs commentaires en aparté.

- Qu'est-ce que tu penses de celle-là ? demanda Ed en désignant une grande rousse à la robe et aux escarpins turquoise, qui dansait, un peu pataude.
- Mof, non...

Au milieu de la pièce, près de la scène, plusieurs jeunes femmes, dont certaines à peine sorties de l'adolescence, se déhanchaient en rythme. D'autres, un peu plus âgées, les regardaient faire, assises à leur table, ou debout près du bar. L'air fier, les aînées regardaient leurs cadettes avec une sorte de supériorité que leur conférait l'âge et l'expérience des choses, à laquelle venait se mêler une pointe de dépit. Avec détachement, plusieurs fumaient, et bavardaient entre elles, ou avec les hommes qui leur tenaient compagnie.
Alex remarqua alors parmi les danseuses une créature à la jolie silhouette, dont la chevelure blonde descendait assez bas dans le dos, qui se trémoussait avec une énergie hors du commun. Pressentant le défi cocasse qu'elle pourrait représenter, il la suggéra à Ed, qui sembla y voir la même promesse, puisqu'il accepta en riant à l'avance.

- Moi qui croyais que vous alliez me lancer sur une vieille grosse hargneuse, j'avoue que je suis plus qu'agréablement surpris. Je m'en vais de ce pas mêler plaisir et devoir, et graver ma réputation dans l'histoire. Gentlemen... lança-t-il à voix basse, après avoir écrasé sa cigarette.

Il se dirigea alors d'un pas décidé vers sa proie. Mais, alors qu'il pensait avoir réussi à établir un contact visuel avec celle-ci, elle tournoya sur elle même, et lui tourna le dos. Il fut alors un peu pris au dépourvu : c'était en effet une étape essentielle de son procédé de chasse que de déstabiliser la donzelle en la fixant avec intensité. Une fois celle-ci troublée, les joues rougies, le regard fuyant, mais le fond de l'âme ému, il s'approchait, et cueillait la fleur, par quelques mots bien choisis et sussurés dans le creux de l'oreille.
Il choisit donc de garder un certain détachement, l'air de rien, et alla s'accouder au bar, pour être à nouveau dans son champ de vision. Il la fixait de toutes ses forces, pour qu'elle sente son regard lourd sur elle, et qu'il puisse enfin capter le sien.
Mais rien à faire : elle continuait à se démener, balançant sa chevelure, agitant toutes les parties de son corps, pivotant autour d'un axe invisible... Elle ne le voyait pas, ni lui, ni le reste de la petite foule qui occupait la salle, toute absorbée qu'elle était par la musique. Il resta alors à son poste, un peu embarassé, sentant qu'il était en train de perdre la face devant l'oeil gourmand et scrutateur de ses amis et futurs concurrents...
Il décida alors de jouer le jeu avec classe, et se mit à danser nonchalamment, pour s'approcher de sa cible, se frayant, en quelques déhanchés joliment négociés, un chemin parmi les autres danseurs. Ed et Alex sentaient monter en eux une incontrôlable envie de rire, et observaient la scène avec une délectation qui était autant dûe à l'allure de Carl qu'à sa chorégraphie. Elle avait cette part de ridicule maîtrisé qui prouvait son esprit et son autodérision, que son combat plus ou moins maitrisé pour attirer l'attention de sa proie rendait irrésistible. L'exercice était difficile : il s'agissait de capter le regard de cette fille échevelée qui ne semblait le poser sur rien à part ses propres gesticulations, tout en ayant pas l'air de montrer que c'était là son intention.

Il choisit alors le parti de danser tout près d'elle, mais de ne la regarder qu'à des moments décisifs, où il sentait qu'elle se tournait un peu plus vers lui. Il manqua plusieurs fois son coup, et lança un regard de braise à ce qui était redevenu une épaule ou une chevelure déchaînée. « Danser » était un grand mot à vrai dire : il se contentait plus de faire de petits pas en rythme, et de sobres mouvements d'épaule, accompagné de temps en temps par un geste plus ou moins précis de la main, dont il ne savait visiblement pas quoi faire. Il la rangea finalement dans sa poche, et reprit un air décontracté.
Las d'attendre qu'elle sorte de sa petite transe, il fit soudain semblant de trébucher, et tomba sur elle. Elle poussa un petit cri qui fit rire aux éclats les deux amis qui guettaient la scène discrètement, un peu plus loin.
- Excusez-moi, dit-il avec une fausse confusion, que son grand sourire révélait. Mais il faut avouer que je ne suis jamais aussi bien tombé.
- Ah, euh, il n'y a pas de mal, répondit-elle, un peu sonnée.
- Non, vraiment, je voudrais me faire pardonner. Laissez-moi vous offrir un verre, le temps que vous vous remettiez... proposa-t-il avec un air appuyé, et un peu de précipitation.
- Très bien, merci, répondit-elle en rougissant.

Alors qu'ils se dirigeaient tous deux vers le bar, Ed lança à Alex, un peu déçu : « Il a tout de même choisi la solution de facilité. Très bien, il a réussi son défi, mais sans panache. Notre Don Juan a encore du chemin à faire, si tu veux mon avis. Ça va être à toi, mon petit. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que toi, tu ne vas pas me décevoir... »


2 commentaires:

  1. Je me devais de partager ça avec tout le monde donc je réédite.

    "Je crois que celui là est vraiment écrit plus à la perfection qu'à l'accoutumé, encore meilleur que les autres qui sont déjà parfait, ou alors peut être est ce simplement un contexte qui fait que j'y suis encore plus réceptif, qui sait ?
    Tu es très forte pour décrire une situation et les comportements humains, c'est écrit avec une grande justesse je trouve... Et en bonus, j'ai pris une leçon de drague au travers de notre ami Carl ^^ En somme un numéro 15 de haut vol !

    Continue ! "

    Baptiste.

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