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27 oct. 2010

Moonlight Sonata - n°1

         Il pleuvait en continu ce soir là. Une pluie abondante et légère venait noyer le pavé luisant. Au creux de ce tranquille tête-à-tête de la nuit que les étoiles faisaient pâlir et du chuchotement de la pluie était blotti un bar. Tâche de lumière dans la pénombre, son néon éblouissant grésillait en écrivant ces mots : "Moonlight Sonata".

Soudain, les pas pressés d'une femme aux élégants escarpins noirs retentirent dans ce calme humide. La lourde porte de chêne du bar s'ouvrit, et une chaleur douce l'accueillit. Elle donna son chapeau, son imperméable rouge et trempé au portier, et s'excusa de salir ainsi de si beaux tapis persans, qui, avec  la moquette rouge qu'ils recouvraient, donnaient au lieu une atmosphère particulière. Un air languissant de jazz parvenait jusqu'à eux d'une salle un peu plus loin, où divaguait un piano accompagné d'une trompette. Elle remercia le portier avec un petit sourire, et alla s'asseoir au bar, après avoir hésité à s'installer sur les confortables banquettes qu'un éclairage feutré rendait plus intimes.

Elle savait que sa robe lui allait à merveille et qu'elle laissait deviner avec grâce les charmes de son anatomie, aussi hésitait-elle entre cette pointe d'orgueil propre aux femmes conscientes qu'elles plaisent, et la gêne que l'on a quand on se sent épié. Elle décida donc de ne pas faire attention au petit groupe d'hommes dont elle sentit qu'elle était le nouveau sujet de conversation, et adressa un timide sourire au barman qui s'approchait pour la servir.

Les yeux dans le vague, elle savourait son Gin fizz tout en regardant la pluie tomber par la petite vitre de l'autre côté du bar. Le barman sembla vouloir lui parler, mais fut stoppé dans son élan par un homme qui vint s'asseoir à côté d'elle.

" Vous attendez quelqu'un ?" lança-t-il, comme pour la sortir de sa contemplation hypnotique, vexé de n'avoir provoqué aucun effet en s'installant à ses côtés.
-   Pardon ? lui demanda-t-elle, en se tournant vers lui. 
-   Vous êtes seule depuis votre arrivée, je suppose que vous attendez quelqu'un, que vous ayez rendez-vous ou non, répondit-il avec un sourire qui se voulait séducteur.
-   Oui j'attends quelqu'un, mais non, ce n'était pas vous, si c'est ce que vous insinuez.
-   Qui attendez-vous alors ?
-   Je ne suis pas sûre que cela vous regarde.
-   Pourquoi êtes-vous si froide avec moi ? Moi qui venais vous distraire...
-   Je ne suis pas sûre que cela soit votre seul but, mais soit; je ne vous avais rien demandé. Après, je n'ai rien contre l'idée de faire votre connaissance, alors soyez moins intrusif. Donnez du temps aux choses.
-   Qu'entendez-vous par là ?
-   Je veux dire que lorsqu'un homme assaille une femme qu'il ne connaît pas de questions de ce genre, celle-ci a juste l'impression qu'il fait une sorte de repérage grossier pour savoir si la pomme est encore bonne à croquer, et s'il ne perd pas son temps.

L'homme l'écoutait, en souriant, et la laissait parler.

-   Et quand les données l'y encouragent, il pose ce qu'on pourrait nommer des "balises de séduction", souvent aussi discrètes qu'un géant derrière un tas de foin, qui n'ont aucun autre but que de nous mettre mal à l'aise, et de nous débarrasser de votre assurance agaçante.
-   Et bien... Vous avez des images étranges en tout cas.
-   Je pensais plus à l'image du marquage de territoire à grands coups d'urine mais finalement, je me suis dit que ça ternirait l'image de charmante créature que je pouvais avoir à vos yeux.
-   Je n'arrive pas à décider si ce que vous venez de dire est prétentieux ou non, et si je devrais me sentir insulté, répondit-il en riant.

Elle se tut alors, et, tandis qu'il se commandait un verre, prit quelques secondes pour le regarder. Il était plutôt bel homme, sans atteindre cette perfection qu'on voyait dans les magazines, mais avait un je-ne-sais-quoi de fragile qui le rendait charmant. Elle détourna avec gêne ses yeux des siens quand elle s'aperçut qu'il les avait retournés vers elle. Avec ce genre d'hommes, l'important était justement de ne pas se montrer séduite - ou du moins, pas trop vite.

-    Je suis sans doute prétentieuse, mais peut-être que cette auto-accusation m'excusera un peu à vos yeux, répondit-elle en rougissant légèrement. Je crois que la plupart des femmes qui sont belles le savent, mais que selon leur esprit, elles jugent plus ou moins avantageux de le cacher.
-   Vous voulez dire que celles qui le cachent sont plus intelligentes ?
-   Oui et non. Cela serait triste d'associer de façon fixe l'hypocrisie à l'intelligence. C'est que les hommes trouvent moins de charme à complimenter une femme qui y est habituée. Or, je crois que les compliments font toujours plaisir. Et puis justement, cela paraît moins prétentieux. Mais c'est un peu hypocrite : pourquoi voudrait-on qu'une femme qu'on complimente régulièrement ignore ses charmes ? Elle serait soit idiote, soit aveuglée par des complexes sans fondement. Aucune de ces deux situations n'est à envier.
-   Votre raisonnement me plaît, remarqua-t-il en souriant, et en lui commandant un autre verre.
-   Je crois donc que le mieux est d'être consciente de ce que l'on est, mais aussi que tout cela n'est qu'un jeu. Nous avons beau avoir l'orgueil d'être admirée à un certain moment, il suffit du temps ou d'une autre femme plus belle encore pour faire passer cette petite gloire d'un instant. Mais je parle trop, et de choses ridicules, excusez-moi.

Troublé par ce soudain manque de confiance, il surprit en lui un mouvement de tendresse, qu'il s'empêcha de laisser transparaître, et lui proposa de se rapprocher du piano. "Le barman nous avertira, si votre rendez-vous se pointe" lui assura-t-il, avant qu'elle ne put faire cette objection.


-   Je ne suis pas sûr que cela vous passionne, répondit-il, toujours aussi souriant. Et je suis bien moins bon conteur que vous...
Il vit alors qu'elle ne l'écoutait pas. Elle semblait troublée et soudain, il vit passer sur son visage une expression de frayeur, qu'elle cacha dès qu'elle s'aperçut qu'on la regardait. Elle jeta autour d'elle un oeil inquiet, et se releva pour partir.

-   Vous partez déjà ? s'étonna-t-il, surpris par ce changement si soudain.
-   Oui, excusez-moi, répondit-t-elle avec empressement, tandis qu'elle se glissait de l'autre côté de la table.
-   Je m'appelle Alexei, ou plutôt Alex, quel est votre nom?...Nous reverrons-nous ?
-    Peut-être, oui, au revoir, balbutia-t-elle précipitamment, en s'enfuyant de la salle.

Dépité, il essaya de trouver ce qui avait pu la faire fuir ainsi... Avait-il dit quelque chose ? Mais non. En y réfléchissant bien, il lui sembla que ce trouble avait commencé quand elle avait entendu la musique que jouaient les musiciens, un air de Chet Baker. Mais cela n'avait pas plus de sens à ses yeux. Il finit son verre d'une traite, et se décida à partir. Le barman vint alors lui demander s'il devait prendre les affaires de la dame qui venait de sortir, qu'elle avait oubliées. Sautant sur l'occasion, il tâcha de prendre l'air le plus naturel possible pour affirmer qu'en effet c'est ce qui avait été convenu. Il prit le chapeau et l'imperméable et sortit sous la pluie.

4 commentaires:

  1. Argl ! O_O
    Caractères blancs sur fond noir !
    Au secours, ophtalmologista-t-il, les yeux exorbités et striés en stores vénitiens.

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  2. Ah oui !
    Comme ça, c'est Raaaaaaah lovelyyyyyyyyyyyyyyyy !
    Heu.
    Je voulais dire : c'est bon.
    Heu.
    Et mes yeux, ils aiment, mes yeux ?
    Heu.
    Oui, bon, tu auras compris.
    Maintenant, je peux lire sans pleurer des larmes de sang (souriez, ceci est un cliché)
    Bises (et merci pour vieux yeux) !

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  3. Une atmosphère telle que je les apprécie (ambiance jazzy) une rencontre, des dialogues qui collent bien avec l'atmosphère, et des interrogations juste comme il faut pour éveiller l'intérêt.
    Donc, un épisode 1 de la saison 1 réussi.
    Ah oui : et un bien beau titre !
    Sinon, alléger en "faire" (en tout début de texte) : faisait luire, faisaient pâlir, faisait briller...
    Il me semblait aussi avoir aperçu d'autres répétitions (emplois de "sembler" ou "demander") mais je n'arrive plus à remettre l'oeil dessus.
    Bien.
    Maintenant, c'est malin, on attend l'épisode 2 avec impatience ;-)
    Bises !

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