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2 juin 2011

Moonlight Sonata - n°22

Très vite, Alex avait rappelé Esther pour fixer un nouveau rendez-vous, et elle lui avait rendu la réciproque le lendemain. Ainsi de suite, leurs rencontres étaient devenues quotidiennes, si bien qu'au bout d'un moment, ils avaient cessé de s'appeler. Comme un accord tacite, Alex rejoignait Esther en bas du Toit du monde, tous les jours, à 19h. Ils montaient ensuite tout en haut de l'immeuble, et contemplaient l'horizon, ou s'allongeaient pour bavarder tout en se noyant dans le ciel. Ils partaient ensuite dîner dans un petit restaurant, qu'ils choisissaient au gré leurs envies. Et pour finir, ils allaient voir un film, écouter de la musique, visiter un endroit de la ville qu'ils ne connaissaient pas.
Alex ne savait pas ce qui le rendait le plus heureux dans tout cela : les souvenirs des moments qu'ils avaient passés ensemble, la promesse des soirées à venir, ou tout simplement, quand il le vivait. C'était sans doute le rassemblement de ces trois choses qui faisaient son bonheur.

A vrai dire, ces moments étaient des oasis au milieu d'un désert de soucis. Il travaillait beaucoup pour le journal, mais étant en désaccord avec sa ligne éditoriale, il trouvait cela de plus en plus inconfortable. Plusieurs fois, le rédacteur en chef lui avait demandé de réécrire certains passages, le menaçant de ne pas le publier sinon, cela n'étant pas dans l'« idée » du journal. Et Alex avait du mal à l'accepter, surtout quand cette « idée » du journal faisait en sorte que l'on évite soigneusement de parler de fâcheux évènements touchant certaines personnes bien placées, et que l'on souligne d'un trait gras de scandale d'autres affaires moindres, éclaboussant ainsi ceux qui étaient vus d'un moins bon oeil par la rédaction. Il n'en avait aucune preuve, mais il sentait que la ligne du journal était fortement influencée par l'argent et les relations de quelques personnes au pouvoir...

Cependant, il continuait à travailler, espérant que son investissement résoudrait la situation, à commencer par ses dettes. Il gagnait certes un peu d'argent, mais pas assez pour pouvoir les rembourser, et sa plume dérangeante n'arrangeait sans doute pas la chose.
Le Gnou était déjà venu à deux reprises lui rappeler qu'il lui devait de l'argent. Alex ne lui avait pourtant pas donné l'adresse de son domicile, aussi le découvrir à sa porte un dimanche matin, une fois la surprise passée, avait laissé en lui une petite inquiétude qu'il ne parvenait à déloger. Il lui avait alors expliqué poliment qu'il n'avait pas encore l'argent, mais qu'il y travaillait, et que cela serait pour bientôt. Devant l'insistance du Gnou la seconde fois, il avait lui même fixé un délais de deux semaines pour rembourser sa dette. L'autre lui avait dit que s'il ne tenait pas parole, les choses iraient mal, et qu'il lui devrait le triple. Bien qu'elle fût stressante, Alex faisait face à cette situation patiemment, y voyant la rançon de l'épanouissement qu'il trouvait aux côtés d'Esther.

Ed et Carl, avec qui il passait le temps libre qu'il ne réservait pas à Esther, se moquaient de cet engouement soudain, et le taquinaient pour qu'il avoue qu'il en était amoureux. Mais l'aveu ne venait pas; ils eurent alors l'idée d'inviter Esther à se joindre à un de leurs repas.

Esther était arrivée au rendez-vous avant Alex, si bien que les deux amis eurent le temps de la découvrir un peu, sans que la présence d'Alex ne vienne rien modifier. Elle portait une jolie robe verte, et avait relevé ses cheveux. L'échange était agréable, et ils compriment rapidement pourquoi leur ami pouvait passer autant de temps avec cette fille. Quand il arriva au restaurant, Alex, qui n'avait pas été informé de la présence d'Esther, laissa pendant quelques instants paraître sur son visage une expression de surprise teinté de désapprobation.

- Ah, Esther, qu'est-ce que tu fais là ? demanda-t-il en approchant de la table à laquelle ils étaient installés.
- Eh bien, je me joins à vous... Tes amis m'ont gentiment invitée.
- Ah, je vois.

Et il se tut, ce qui surpris ses trois comparses. Ed eut l'impression que leur initiative l'avait fâché, et il ne comprenait pas pourquoi. Il n'osait pas le demander, en présence de la jeune femme, aussi il lança qu'il allait aux toilettes, et lança à Alex un regard qui lui fit comprendre qu'il l'incitait à en faire de même. Cela eut l'effet escompté, et quelques secondes plus tard, Alex le rejoignit dans le couloir à l'écart de la salle principale.

- Eh bien quoi, notre surprise ne te plait pas ?
- Disons que je ne comprends pas bien ce que vous faites... Tu me vois, toi, inviter une fille de tes connaissances à un de nos diners ? Et puis tu aurais pu me prévenir, on dirait une sorte de piège que vous me tendez.
- Un piège, mais pas du tout... Qu'est-ce qui t'arrive au juste ?
- Rien, il m'arrive rien. J'aime juste pas qu'on vienne farfouiller dans mes affaires.
- Ah, et Esther, c'est « tes affaires », c'est ça ?

Alex ne répondit rien, et après s'être lavé les mains pour faire comme s'il n'était pas venu ici que pour suivre l'invitation d'Ed, il retourna dans la salle.

Quand il revint à la table, il ne vit que Carl, qui lui expliqua que Esther avait préféré s'en aller; en effet, vu la réaction d'Alex, elle s'était dit qu'elle dérangeait, et avait jugé qu'il serait mieux qu'elle rentre chez elle.
A cette nouvelle, Alex ressentit une certaine amertume : il n'avait plus envie de parler, de communiquer avec qui que ce soit. Il remit son manteau, et sans commenter, partit du restaurant.

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